mercredi 21 février 2018

L'ACTE DE SOIN ORTHOPHONIQUE

L’acte de soin orthophonique

La réflexion autour de la nomenclature en orthophonie est présente depuis longtemps à la Fédération des Orthophonistes de France. Jusqu’alors intitulé “acte unique”, ce sujet a déjà fait l’objet d’écrits isolés au fil des ans. Lors de l’assemblée générale de mai 2017, ce point a été discuté par les adhérents et fait partie des axes de travail écrits dans la Motion 2017-2019. Le travail est engagé et nous publions aujourd’hui le positionnement de la FOF sur l’acte de soin orthophonique.
Fédération des Orthophonistes de France,
Charolles, le 13 janvier 2018



L’acte de soin orthophonique


De la nomenclature de nos actes découle une tarification différente. C’est cette situation qui nous interpelle. La Fédération des Orthophonistes de France parle depuis longtemps d’un “acte unique”. Ce thème a déjà fait l’objet d’écrits au fil des ans. Évoqué à nouveau lors de l’Assemblée Générale de mai 2017, ce sujet est présent dans les axes de travail de la Motion 2017-2019.

Aujourd’hui, notre décret de compétences définit nos actes. La Nomenclature Générale des Actes Professionnels (NGAP) en orthophonie introduit une hiérarchie en liant un acte et un tarif. Celui-ci porte actuellement sur la pathologie et non sur le travail de l’orthophoniste. Cela sous-entend qu’il existe différents types de pathologies, corrélées à des signes cliniques apparents, reliées a priori à une notion de gravité et associées à une notion pécuniaire.

A la FOF, dans notre représentation du langage et du soin en orthophonie, nous ne considérons pas le langage comme étant seulement une somme de fonctions à maîtriser mais à la fois comme le rapport que le patient entretient avec l’autre et sa possibilité de penser et de parler de soi ainsi que du monde qui l’entoure. Dans ce contexte théorico- clinique, le soin orthophonique est envisagé comme la relation thérapeutique dans laquelle l’orthophoniste va accompagner le patient. Dès lors, nous soutenons que le travail effectué par l’orthophoniste est semblable en terme de compétences et d’investissement, quel que soit le patient et ses difficultés. Nos idées théoriques et cliniques nous font envisager chaque trouble du langage de la même manière, c’est-à-dire comme un symptôme qui nous amène à être attentif pour chaque patient aux éléments qui sont en jeu pour lui à travers ses troubles et qui expriment autre chose de lui. Cette façon de considérer notre métier d’orthophoniste n’est pas incompatible avec la prise en compte des difficultés, ni avec l’observation fine et rigoureuse des manifestations des troubles du langage.

La réalité clinique des troubles est bien plus complexe que la nomenclature de nos actes et c’est là que réside l’impossibilité de faire coexister des patients et des cotations.

Les difficultés sont souvent multiples, les pathologies se croisent et les cotations se recoupent : il nous faut déterminer dans quelle case inscrire un patient, ce qui revient à choisir quel tarif conviendra. Certains patients ne rentrent pas dans des cases, certaines pathologies n’apparaissent pas.
Pourquoi considérer que l’implication et le travail de l’orthophoniste diffèrent pour des patients présentant des pathologies différentes, puisque l’objet de notre travail est le même ? Pourquoi la rémunération varie-t-elle autant d’un acte à l’autre ? Nous considérons qu’il n’est pas pertinent que la différence pécuniaire soit liée à la nosographie et à la symptomatologie apparente.
Quel que soit le patient, nos compétences, nos connaissances spécifiques, notre posture et notre geste thérapeutique sont les mêmes. Les outils, le temps de préparation, le temps d’échanges avec les parents ou les proches, le temps de réunion interdisciplinaire peuvent être différents. Ce qui ne change pas, c’est notre implication de soignant auprès d’une personne qui souffre dans son langage et sa communication. Le langage est au carrefour de compétences humaines, comme l’orthophonie est au carrefour de plusieurs disciplines. Les symptômes des patients que nous rencontrons touchent le langage, la communication, l’oralité quelle que soit la forme que prennent ces troubles et leur étiologie.
Aujourd’hui, l’orthophoniste qui reçoit un patient doit se demander comment coter les séances. Quel intitulé choisir lorsque langage oral et langage écrit ou bien raisonnement logico-mathématique et langage écrit sont profondément imbriqués ? Faut-il coter langage oral ou handicap pour tel enfant ? Comment faire lorsque le patient après un AVC a besoin d’une prise en charge pour aphasie mais aussi pour dysphagie ? Faut-il traiter les pathologies l’une après l’autre ? Concomitamment, avec une ordonnance pour le mardi et une autre pour le jeudi ? Ou bien préférons-nous recevoir une personne dans sa globalité et toute sa complexité ?

Aujourd’hui, l’orthophoniste est lié par une obligation de temps minimum pour les séances, et tout temps supplémentaire qu’il estime nécessaire est de facto bénévole. La demande importante et les contraintes financières ne permettent pas de liberté dans le temps passé en séance.
En outre, certains actes ne sont actuellement pas reconnus : les entretiens de parents en-dehors de la présence de l’enfant, le temps passé en réunion...

Dès lors qu’est amenée cette conception du langage et du soin défendue par la FOF, on ne peut considérer différemment un trouble d’articulation et des troubles autistiques par exemple, dans ce qui entre en jeu en termes de travail orthophonique. Cette perspective ne nie pas que le travail en séance puisse être différent quant à la fatigue physique ou morale, la préparation, le travail complémentaire. La question de la prise en compte de ce travail sera nécessairement en lien avec notre questionnement autour de l’acte de soin orthophonique.

Aux débuts de notre profession, quelques actes seulement étaient définis dans nos textes réglementaires. Au fil des années, la reconnaissance de plus en plus importante des compétences spécifiques des orthophonistes s’est accompagnée de l’évolution de la nomenclature. Celle-ci s’est étoffée jusqu’à devenir un “catalogue” de pathologies et de symptômes.

Nous nous demandons comment le coefficient attribué à chaque pathologie a été déterminé : en fonction du degré de handicap, de la gravité des troubles, de la technicité thérapeutique estimée ? La nomenclature vient ainsi nier la notion même de symptôme. Un acte unique, acte de soin orthophonique permettrait de ne pas figer ni cliver le patient et de ne pas le limiter à un diagnostic.

Pourtant nous pensons que la liste des actes et donc de nos compétences est à préserver parce qu’elle constitue un cadre à notre profession et nous garantit une sécurité vis-à-vis d’autres champs professionnels.

La Nomenclature Générale des Actes Professionnels traduit notre décret de compétence en termes de prise en charge par l’Assurance Maladie. Ainsi la NGAP s’est-elle adaptée aux évolutions de la profession. Dans le référentiel de compétences et le référentiel d’activités parus au Bulletin Officiel du 5 septembre 2013, la présentation des compétences et activités des orthophonistes est transversale et non pas hiérarchisée.
Il nous semble essentiel de maintenir une nomenclature des actes comme base du diagnostic orthophonique et comme base de nos prises en charge. En effet, la nomenclature permet d’encadrer ce qui relève ou non de l’orthophonie et détermine un cadre qui impose une exigence de rigueur professionnelle, de précision diagnostique et de respect de la réglementation.

Qu’est-ce qu’un acte de soin orthophonique ? Dans le référentiel cité plus haut, on trouve ces mots : “Restaurer un rapport confiant à la langue”, au langage, à la parole : et si c’était cela l’acte orthophonique ? Restaurer des fonctions, pallier des difficultés, développer des outils de communication... Nous ne nions pas cette part de notre métier et nous défendons la prise en compte globale du patient, dans laquelle ces aspects techniques sont au service d’une vision humaine de la personne et de son langage. Le langage est ce qui singularise notre humanité. Il se construit avec la pensée de chaque individu, en même temps qu’il l’exprime, dans son environnement, avec son implication, son désir, son envie de grandir, ses difficultés, ce qui l’empêche de dire. Nous portons sur le patient ce regard qui fait de notre métier un métier de soin. Le travail de l’orthophoniste a lieu dans la relation thérapeutique et est soutenue par celle-ci. Nous défendons une orthophonie de soin.

Dans ce cadre, nous pourrions envisager de nous référer à la nomenclature et de cocher des cases à des fins statistiques mais sans corrélation financière.


Nous pourrions imaginer un système de facturation où le temps passé par le thérapeute serait reconnu et pris en compte :
  • -  Le temps de rencontre, temps d’évaluation, temps de diagnostic : le bilan, qui pourrait comprendre plusieurs séances toutes facturables.
  • -  Le temps de soin, dont les rencontres avec l’entourage du patient : la rééducation,
  • -  Le temps autour de la prise en charge : réunions scolaires, échanges avec les professionnels (synthèses institutionnelles, synthèses hospitalières, etc) : actes
    “transversaux”.


    Nous pourrions imaginer un système dans lequel l’orthophoniste, libre de ses outils

    thérapeutiques, serait également libre de décider le temps nécessaire au patient (30 min, 45 min, 60 min) et que ce temps serait facturable.

    Nous pourrions imaginer un système dans lequel les orthophonistes seraient rémunérés pour un travail qu’ils et elles peuvent effectuer avec le degré d’autonomie et de responsabilité qui est déjà le leur et qu’ils et elles sauraient ainsi adapter au mieux à chaque patient, ce qui apporterait une amélioration en terme de traitement et donc de coûts globaux...

    Une réflexion plus poussée sur ces moyens de mise en œuvre de l’acte de soin orthophonique nous paraît aujourd’hui nécessaire.

    Fédération des Orthophonistes de France, Charolles, le 13 janvier 2018