Obligation déontologique
mais pas juridique Les recommandations de la HAS n'ont pas à être
opposables, assure sa présidente
Le quotidien
du médecin| 13.03.2017
Si elles
demeurent une aide précieuse pour le médecin, les recommandations de bonne
pratique de la Haute autorité de santé (HAS) ne constituent pas une obligation
à suivre systématiquement au pied de la lettre, a rappelé sa présidente,
le Pr Agnès Buzyn.
« Les recommandations de bonne pratique de la HAS n'ont
pas à être opposables car la médecine est un art évolutif ». Invitée des rencontres du
« Café Nile », le Pr Agnès Buzyn, présidente du collège de la
Haute autorité de santé a réaffirmé le rôle primordial de ces outils dans
l'exercice quotidien.
« Les
médecins doivent connaître les bonnes pratiques, a-t-elle précisé, et être
capables de dire pourquoi, le cas échéant, ils s'en sont éloignés. C'est
lorsque les praticiens ne justifient pas les raisons qui les ont fait s'écarter
de ces recommandations qu'ils courent un risque judiciaire. »
Agnès Buzyn
prend le cas d'une "reco" ancienne. « Elle peut devenir
obsolète, du fait des avancées récentes de la médecine »,
reconnait-elle. La HAS va prochainement s'atteler à la réécriture d'une
recommandation sur les anticoagulants, précise la présidente.
Cette
question de l'opposabilité des recommandations est à la fois centrale et
épineuse. Un arrêt du Conseil d'État du 27 avril 2011 a constitué un
tournant. Saisie par l'association Formindep, la plus haute juridiction
administrative avait abrogé une recommandation de la HAS sur la prise en charge
du diabète de type 2 pour non-respect des règles de gestion des conflits
d’intérêts des experts l'ayant élaborée. L’objet des recommandations est de «
guider les professionnels de santé dans la définition et la mise en œuvre des
stratégies de soins à visée préventive, diagnostic ou thérapeutique les plus
appropriées, sur la base des connaissances médicales avérées à la date de leur
édition », écrivait le Conseil d'État.
Lorsque fut
rendu l'arrêt Formindep, les juristes glosèrent sur l'opposabilité
juridique de ces recommandations.
La liberté
thérapeutique préservée par le code de déontologie
À l’époque,
l'avocat Olivier Poinsot, spécialiste du droit des institutions sociales et
médico-sociales, écrivait sur son blog que l'arrêt du conseil d'État présentait
un « intérêt concret » pour les professionnels de santé :
« Ils ont pour devoir de se tenir informés des règles de l'art,
analysait-il et, à ce titre, d'intégrer à leur pratique le nécessaire
respect des recommandations de bonnes pratiques professionnelles de la
HAS ». D'aucuns considèrent que le non-respect d’une
recommandation constitue une présomption de faute. Mais d'autres juristes sont
moins formels. À la question « l’arrêt du Conseil d’État modifie-t-il
la valeur juridique des recommandations ? », Frédérique Claudot,
avocate au barreau de Nancy, soulignait à l'époque que « de
mémoire, un juge ne s’est jamais estimé lié par une recommandation qui n’est
pas édictée par une autorité créatrice de droit ».
Dans la
pratique, le médecin bénéficie toujours d’une liberté thérapeutique inscrite
dans l’article 8 du Code de déontologie médicale : « Dans les limites
fixées par la loi, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles
qu’il estime les plus appropriées en la circonstance. »
Pour le
Dr Luc Duquesnel, président des « Généralistes CSMF », Agnès
Buzyn est dans le vrai. « Nous devons tenir compte de ces
recommandations, analyse-t-il, mais avec discernement ». Le
syndicaliste estime qu'un praticien qui appliquerait « aveuglément »
une recommandation ne tenant pas compte les dernières avancées de la médecine « s'exposerait
à être attaqué par son patient devant les tribunaux ».
Pour le
praticien, ce subtil dosage entre le respect d'une recommandation et la
possibilité de s'en écarter « est ce qui fait la grandeur et la
difficulté de l'art médical ». « Ce n'est pas demain que le
diagnostic d'un médecin sera remplacé par un algorithme d'ordinateur »,
conclut le généraliste.